Depuis deux semaines, se succèdent à la barre des témoins. Tous, sans exception, confirment l’effectivité et l’intégralité des livraisons, conformément aux dispositions du protocole d’accord signé avec la société Guo Star.
Pourtant, une note discordante persiste : le Bureau du Vérificateur général, dans sa mission de contrôle, a mis en évidence des irrégularités dans la fourniture de matériels aux Forces armées maliennes, notamment en ce qui concerne l’habillement, le couchage, les équipements de campement et d’alimentation, ainsi que les véhicules et pièces de rechange. Selon lui, les livraisons n’auraient pas respecté les engagements contractuels du protocole d’accord.
Le lundi 23 juin 2025, la Cour a entamé l’audition des acteurs clés impliqués dans le processus de réception des matériels et équipements militaires.
À 10h, le général de brigade Yoro Sidibé, directeur du Commissariat des Armées, a été appelé à la barre. À l’appui d’un tableau de suivi, il a confirmé que les matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation ont bel et bien été livrés, conformément au protocole conclu avec Guo Star. Il a basé ses déclarations sur des notes de service datant de 2013, 2014 et 2015.
Cependant, en confrontant ces éléments avec ses propres tableaux, la Cour a identifié des écarts concernant certains articles (bérets, imperméables, sacs de riz, sacs de couchage, tenues treillis, etc.). Le général Sidibé a expliqué que les documents disponibles à la Cour n’étaient que des tableaux provisoires, établis à une période où les livraisons n’étaient pas encore finalisées.
Il a toutefois soulevé des entorses au protocole hiérarchique dans l’expression des besoins. Selon lui, le général Moustapha Drabo et le colonel-major Nouhoum Dabitao ont directement transmis leurs demandes au ministre de la Défense, alors que seule l’autorité du chef d’état-major général des Armées est compétente pour le faire.
« Il n’existe aucun lien de subordination entre le ministre de la Défense et les directeurs de la DMHTA et de la DCA. Toute communication doit passer par la chaîne hiérarchique légale », a-t-il rappelé en réponse à une question du parquet général.
Absence d’archives à la DGABE : la piste du sinistre
La Cour a ensuite entendu Ousmane Diarra, représentant de la Direction générale de l’administration des biens de l’État (DGABE). Son service étant impliqué dans l’ensemble des opérations de réception de matériel, il a confirmé que la DGABE avait participé à toutes les réceptions partielles, tant pour les équipements de la DCA que pour ceux de la DMHTA.
Toutefois, aucune trace documentaire (papier ou numérique) ne peut être produite, car, selon M. Diarra, un incendie survenu le 25 août 2016 dans les locaux de la DGABE a détruit tous les fichiers et archives.
Malgré l’absence de documents, son témoignage a permis d’éclairer certains aspects de la procédure, notamment à travers son expérience administrative. Il n’a pas manqué de dénoncer certaines pratiques peu orthodoxes au sein de l’administration publique malienne.
Interpellé par le ministère public et la défense sur la valeur des procès-verbaux partiels, M. Diarra a estimé que, s’ils sont rédigés dans les règles, ces PV peuvent servir de base comptable équivalente aux PV finaux. Il a néanmoins prudemment laissé à la Cour le soin d’apprécier la portée juridique exacte de ces documents.
Révélations, polémiques et remises en cause
Après une pause d’une heure, l’audience du lundi 23 juin 2025 a repris à 16h avec l’audition de Bréma Sow, actuel directeur des finances et du matériel (DFM) du ministère de la Défense. Bien qu’il n’occupait pas ce poste au moment des faits, il a présenté à la Cour des procès-verbaux et tableaux synoptiques censés démontrer que le contrat militaire avec la société Guo Star avait été exécuté à 100 %.
Cependant, des anomalies ont été relevées dans les documents qu’il a fournis, notamment un tableau synoptique antidaté. M. Sow a reconnu cette irrégularité, qu’il a attribuée à une erreur de manipulation. Malgré ses explications, la Cour et le parquet ont remis en question la sincérité et l’authenticité de ces pièces.
S’exprimant sur la procédure de signature du contrat militaire, Bréma Sow a expliqué que, selon les textes de 2014, le ministre de la Défense ne peut agir seul : il doit d’abord obtenir l’autorisation du président de la République via une lettre, suivie d’un décret ministériel créant une mission pour établir les prix. Ce n’est qu’ensuite que le contrat est signé conjointement par les ministres concernés et le fournisseur.
Sur insistance de Me Tounkara, il a précisé qu’en 2013, les contrats étaient uniquement signés par le ministre de la Défense, une procédure alors courante.
À propos de l’achat de l’avion présidentiel, Bréma Sow a indiqué qu’aucune trace du contrat, même sous forme de copie, n’existe dans les archives du ministère de la Défense. Une déclaration qui a surpris le parquet, étant donné que ce contrat aurait été conclu au sein même du département ministériel en question.
Abou Berthé, ancien contrôleur financier au ministère de la Défense, a affirmé que deux ordres de paiement de 22 milliards FCFA chacun avaient été exécutés, courant 2014 et 2015, sur instruction du ministre de la Défense. Il a précisé que toutes les pièces justificatives avaient été dûment vérifiées, mais a admis n’avoir jamais eu connaissance du protocole de partenariat avec Guo Star avant sa divulgation par le Vérificateur général.
Le 24 juin, l’audience a repris avec Mamadou Kida, ingénieur en aéronautique, entendu à titre de renseignement. Il a tenté de décrire les modalités d’exploitation d’un avion présidentiel impliquant à la fois l’aviation civile et l’armée de l’air. Toutefois, ses réponses, jugées imprécises et divagantes, ont poussé le président de la Cour à interrompre l’échange.
Le témoignage suivant, celui du colonel Mamourou Togo, chef de la division comptabilité matière au ministère de la Défense, a apporté une autre tension. Il a déclaré n’avoir joué aucun rôle dans l’élaboration du contrat, se limitant à la réception des commandes. Il affirme avec assurance que tous les matériels du protocole ont été livrés.
Mais l’examen des procès-verbaux de réception a révélé des inexactitudes : écarts entre les montants, signatures douteuses du représentant de la DGABE, et contradictions dans ses propres déclarations.
Face à ces éléments, le parquet général, se référant à l’article 298 du nouveau code pénal, a déposé un réquisitoire demandant des poursuites contre le colonel Togo pour faux, usage de faux et faux témoignage.
Les avocats de la défense ont vivement contesté cette démarche, qualifiant le réquisitoire de malentendu infernal et accusant le parquet de désorganisation après quatre semaines d’audience sans preuves probantes.
La Cour, après délibération, a exigé la comparution de N’Tio Konaté, agent de la DGABE ayant participé aux commissions de réception.
Le lendemain, mercredi 25 juin 2025, N’Tio Konaté s’est présenté à la barre. Il a confirmé, sans hésitation, avoir pris part à une vingtaine de commissions de réception, validant l’authenticité de toutes ses signatures, y compris celle figurant sur le controversé procès-verbal n°2.
Malgré ces précisions, le parquet est resté sceptique quant à la fiabilité des procès-verbaux et a introduit un nouveau réquisitoire demandant leur rejet en bloc pour absence de valeur probante.
Les témoignages se poursuivent ce jeudi et vendredi, avec l’audition attendue d’autres membres de la commission de réception. De nouveaux éclairages sont espérés pour lever le voile sur les zones d’ombre qui persistent dans ce dossier complexe.
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune
Lire l’article original ici.