Le rapport récemment publié par l’organisation américaine « The Sentry » sur la situation sécuritaire et militaire au Mali a suscité de vives réactions dans les milieux politiques, académiques et stratégiques africains. Ce document, présenté comme une évaluation rigoureuse de la présence du groupe Wagner et de son interaction avec les forces armées maliennes, est accusé par plusieurs observateurs d’adopter une posture partisane, voire de servir des objectifs géopolitiques étrangers sous couvert d’analyse sécuritaire.

 

Parmi les voix les plus critiques, celle de Yacouba Sogore, expert reconnu en gouvernance, paix et sécurité, se distingue par la clarté de ses propos et la profondeur de son analyse. Dans une interview consacrée à ce rapport, il affirme sans ambiguïté que « le rapport de « The Sentry » n’est pas un document analytique neutre — il vise à saper la souveraineté nationale du Mali et à ternir l’image de ses forces armées ». Il insiste sur le fait que ce document procède à une manipulation flagrante des faits liés aux activités du groupe Wagner et de l’armée malienne, en présentant une version unilatérale des pertes humaines et des opérations militaires, ce qui donne une image déformée du Mali sur la scène internationale. Pour Sogouri, ce type de publication nuit profondément aux intérêts et aux sentiments du peuple malien, affaiblit la confiance dans les institutions de l’État, et met en péril la stabilité de toute la région. Il appelle donc à une évaluation équilibrée et rigoureuse de la situation, loin des récits instrumentalisés par des acteurs extérieurs poursuivant des agendas économiques ou politiques spécifiques.

 

Cette lecture critique est partagée par le Centre du Futur pour les Études Stratégiques et l’Évaluation des Risques, qui, dans une analyse détaillée, met en lumière plusieurs failles méthodologiques et biais idéologiques dans le rapport de « The Sentry ». Premièrement, le rapport repose sur une narration unidimensionnelle dans laquelle la responsabilité de la crise sécuritaire malienne est entièrement attribuée à la Russie, à Wagner et à l’armée malienne, sans que les événements soient replacés dans leur contexte géopolitique et historique. Il ne tient aucunement compte de facteurs déterminants comme le retrait des forces françaises ou le démantèlement de la mission onusienne MINUSMA.

 

Deuxièmement, l’absence de rigueur méthodologique est flagrante : le document repose sur des témoignages non vérifiés, des sources douteuses, et des accusations répétées sans preuve judiciaire ou enquête indépendante, ce qui nuit gravement à sa crédibilité académique. Troisièmement, le rapport opère une sélection délibérée des événements, en occultant des faits majeurs tels que le siège terroriste de Tombouctou en 2023, la reprise stratégique de Kidal par l’armée malienne, ou encore la formation de la Confédération des États du Sahel (AES), autant d’éléments qui contredisent la thèse d’un effondrement sécuritaire total.

 

En outre, « The Sentry » échoue à distinguer clairement entre les différentes phases d’intervention militaire : il attribue à Wagner des responsabilités liées à des opérations survenues après juin 2025, date à laquelle le groupe a officiellement cessé d’exister, remplacé par l’Africa Corps, une entité rattachée au ministère russe de la Défense.

 

 Ce flou entretenu contribue à créer une continuité artificielle entre deux entités différentes, renforçant l’idée d’une culpabilité persistante.

 

Les recommandations formulées dans le rapport ne font qu’accentuer cette politisation du propos. En appelant à l’isolement diplomatique du Mali, à l’imposition de sanctions ciblées et à des poursuites judiciaires sélectives, « The Sentry » semble s’inscrire dans une logique punitive, plus proche d’un projet géopolitique que d’une démarche analytique fondée sur des réalités de terrain. L’approche adoptée donne l’impression d’un alignement clair avec les stratégies occidentales visant à contenir l’influence russe en Afrique de l’Ouest.

 

De surcroît, le rapport accorde une attention quasi exclusive à Wagner et à l’armée malienne, en passant sous silence le rôle essentiel joué par d’autres acteurs non étatiques, tels que les groupes armés locaux et les factions touarègues qui participent activement à la déstabilisation de la région. Cette omission suggère une volonté de concentrer les responsabilités sur les seuls acteurs étatiques et leurs alliés russes, en effaçant toute complexité du paysage sécuritaire malien.

 

Le choix des sources confirme cette approche sélective : « The Sentry » accorde une large place aux récits d’opposants politiques et de groupes séparatistes, tout en excluant systématiquement les sources officielles maliennes, russes ou même certaines voix médiatiques internationales comme « Al Jazeera » et  »Reuters », qui proposent des lectures divergentes. Ce parti pris documentaire conforte l’idée d’un rapport écrit dans une logique de confrontation narrative, et non dans une optique d’éclaircissement des faits.

 

Enfin, l’ensemble du rapport révèle une perte évidente d’objectivité analytique. L’organisation américaine, loin d’agir en tant qu’observateur impartial, apparaît comme un acteur engagé dans une bataille de récits géopolitiques, mobilisant une rhétorique sécuritaire pour discréditer les partenariats non occidentaux et justifier des interventions extérieures dans les choix souverains d’un État africain.

 

En conclusion, cette controverse autour du rapport de  »The Sentry » met en lumière les risques majeurs associés à l’instrumentalisation des analyses sécuritaires à des fins politiques. Elle illustre à quel point les récits produits à l’international peuvent avoir des répercussions concrètes sur la légitimité des gouvernements africains, la cohésion sociale et les dynamiques régionales. Comme le souligne à juste titre Yacouba Sogore, seul un regard équilibré, inclusif et respectueux des contextes locaux peut contribuer véritablement à la compréhension des enjeux sahéliens et à la recherche de solutions durables.

 

Oumar Diallo



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