L’application réelle du contenu local dans la commande publique est une réforme de bon sens, à portée immédiate, sans besoin de financements extérieurs. Elle ne dépend que de notre volonté politique, de notre cohérence stratégique, et de notre foi en nos propres capacités.
Dans un contexte où le Mali cherche à reconquérir sa souveraineté économique, à relancer sa croissance et à offrir des perspectives aux millions de jeunes en quête d’emploi, une évidence s’impose : la commande publique est un levier puissant de développement endogène. Or, il est paradoxal de constater que l’État, qui promeut officiellement le contenu local dans plusieurs secteurs, reste l’un des premiers à entretenir une dépendance excessive aux importations et aux prestataires étrangers.
Une incohérence stratégique
Depuis l’adoption de la loi sur le contenu local dans les secteurs minier, énergétique ou pétrolier, le Mali s’est engagé à renforcer la participation de ses entreprises nationales dans les grandes chaînes d’approvisionnement. Cet effort est louable et doit être salué. Mais comment expliquer qu’au même moment, la majorité des achats de biens, de services et d’équipements de l’administration publique continue de se faire hors du tissu économique local ?
Chaque année, plus de 1 000 milliards de FCFA de marchés publics sont attribués, dans le cadre du fonctionnement des ministères, des projets d’investissement ou des dépenses de défense et de sécurité. Ce montant pourrait devenir un moteur de création d’emplois, de stimulation de la production nationale et de valorisation des savoir-faire locaux… si la préférence nationale devenait une règle systématique.
Un potentiel massif d’emplois et de valeur ajoutée
Les analyses disponibles montrent qu’en appliquant rigoureusement le contenu local dans les dépenses publiques, le Mali pourrait générer entre 900 000 et 1,1 million d’emplois directs et indirects dans les secteurs comme :
- Le BTP et les infrastructures (routes, bâtiments publics, canalisations)
- L’habillement et l’équipement des agents publics (uniformes, bottes, mobiliers, etc.)
- L’impression des manuels scolaires et la fabrication de fournitures éducatives
- La sous-traitance locale dans les mines, l’énergie ou la santé
- La transformation agricole et l’approvisionnement des cantines scolaires
Cela représente plusieurs milliers de milliards de FCFA de richesses supplémentaires à injecter dans l’économie réelle, des centaines de PME revitalisées, et un tissu industriel progressivement renforcé.
Une urgence de cohérence politique
Ce que nous demandons n’est pas une faveur. C’est l’application par l’État lui-même de ce qu’il exige du secteur privé minier ou des partenaires étrangers. Ce n’est ni du protectionnisme fermé, ni de l’assistanat. C’est un acte de souveraineté économique, un moyen intelligent d’utiliser nos ressources publiques pour structurer des filières locales durables, réduire la dépendance extérieure et retenir la valeur ajoutée dans le pays.
Il ne s’agit pas de confier tous les marchés à des entreprises locales sans conditions. Il s’agit de :
- Segmenter intelligemment les marchés publics pour les rendre accessibles aux PME
- Imposer des critères de contenu local dans tous les appels d’offres publics
- Former, labelliser et accompagner les fournisseurs nationaux en exigeant d’eux une Certification obligatoire pour garantir qualité et compétitivité
- Sanctionner les abus ou les importations déguisées
- Créer un Observatoire indépendant du contenu local rattaché au Premier ministre ainsi qu’un service de certification obligatoire pour accéder à la commande publique.
Donner l’exemple, maintenant
Le message est simple : l’État doit être le premier à faire confiance aux Maliennes et aux Maliens. À travers ses achats, ses contrats, ses projets, il peut et doit devenir le principal moteur d’un « Made in Mali » assumé et ambitieux.
L’application réelle du contenu local dans la commande publique est une réforme de bon sens, à portée immédiate, sans besoin de financements extérieurs. Elle ne dépend que de notre volonté politique, de notre cohérence stratégique, et de notre foi en nos propres capacités.
L’histoire nous jugera sur notre capacité à faire les bons choix au bon moment. Celui de miser sur notre économie locale, c’est maintenant.
Harouna Niang, Ancien Ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion des Investissements du Mali
Source : Le Challenger
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