Le feuilleton minier entre l’État malien et la multinationale canadienne Barrick Mining prend une dimension qui dépasse de loin la simple querelle d’actionnaires. Ce lundi 11 août 2025, la compagnie a annoncé des revenus aurifères en nette progression – 4,79 milliards de dollars au premier semestre, soit une hausse de 13,5 % par rapport à 2024. Pourtant, derrière ces chiffres flatteurs se cache une réalité plus complexe : Barrick a perdu l’un de ses joyaux, le complexe de Loulo-Gounkoto, désormais placé sous le contrôle de l’État malien.
L’or du Mali, un actif stratégique devenu enjeu de souveraineté
Bamada.net-Avant la suspension des opérations en janvier dernier, Loulo-Gounkoto représentait près de 723 000 onces d’or en 2024, soit l’un des plus gros contributeurs à la production mondiale de Barrick. Sa perte n’est pas symbolique, elle est stratégique. Depuis juin, un administrateur provisoire nommé par la justice malienne a pris les rênes de la mine, consacrant de facto la sortie de la compagnie canadienne du contrôle opérationnel du site.
Cette décision intervient dans un contexte où le Mali affirme de plus en plus sa souveraineté économique, notamment dans le secteur extractif. Les tensions, qui avaient commencé avec la saisie de trois tonnes d’or et le blocage des exportations, se sont muées en bras de fer judiciaire et diplomatique.
Une perte colossale pour Barrick, un pari risqué pour Bamako
La compagnie minière a dû acter une perte comptable de 1,03 milliard de dollars liée à la déconsolidation de l’actif. Sur le court terme, la flambée des prix du métal jaune – 3 099 dollars l’once en moyenne au premier semestre contre 2 213 dollars en 2024 – compense le choc. Mais à moyen terme, Barrick reste fragilisée par la dépendance à un cours de l’or volatile et par l’incertitude judiciaire au Mali.
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Pour Bamako, le pari est audacieux : récupérer la maîtrise de son sous-sol peut être interprété comme un acte de justice historique après des décennies de contrats déséquilibrés. Mais cette reprise en main exige une gouvernance irréprochable, une transparence accrue et une capacité technique de gestion que le pays doit encore consolider. Sans cela, la nationalisation risquerait de se transformer en contre-performance.
Un signal fort envoyé aux multinationales
Le cas de Loulo-Gounkoto n’est pas un fait isolé. Il illustre une tendance continentale : de plus en plus d’États africains contestent les clauses héritées de contrats miniers jugés léonins. Le Mali rejoint ainsi le Niger, la Tanzanie ou encore la RDC, qui ont engagé des bras de fer avec de grands groupes pour mieux défendre leurs intérêts.
Pour Barrick, l’affaire malienne pourrait faire jurisprudence. La compagnie a déjà engagé une procédure devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), un contentieux qui pourrait durer des années. Or, d’ici là , l’un de ses permis miniers au Mali arrive à expiration en 2026.
L’or, valeur refuge… mais à double tranchant
Sur les marchés, le métal jaune est porté par un contexte international incertain : guerres commerciales, tensions géopolitiques, inflation persistante. Certains analystes, comme ceux de la firme Fidelity, prédisent un prix de 4 000 dollars l’once d’ici fin 2025. Cette envolée profite pour l’instant à Barrick, mais elle masque mal la réalité : sans Loulo-Gounkoto, le géant canadien voit son ancrage africain vaciller.
Pour Bamako, l’équation est encore plus complexe. Si la souveraineté sur Loulo-Gounkoto est consolidée, il faudra démontrer que cette reprise bénéficie réellement aux populations : emplois locaux, infrastructures sociales, recettes fiscales bien utilisées. Faute de quoi, la victoire politique pourrait se transformer en désillusion sociale.
Un tournant pour le Mali
L’épisode Loulo-Gounkoto marque un tournant. Il ne s’agit pas seulement d’un litige économique mais d’une redéfinition des rapports de force entre un État africain et une multinationale. En récupérant la gestion d’une mine aussi stratégique, le Mali envoie un message clair : désormais, ses ressources naturelles doivent d’abord servir les intérêts nationaux.
Reste une interrogation majeure : le pays saura-t-il transformer cette reprise de contrôle en levier de développement durable et inclusif ? Ou bien assisterons-nous à une répétition des erreurs du passé, où l’or s’évapore sans jamais briller dans le quotidien des Maliens ?
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Fatoumata Bintou Y
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Source: Bamada.net
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