Les prix de transfert désignent les transactions internes à un groupe multinational, entre une filiale locale et sa maison mère à l’étranger. Ces opérations peuvent concerner la vente de produits miniers, la facturation de services techniques ou l’utilisation de brevets et de marques. Parce qu’elles échappent aux mécanismes du marché libre, elles rendent difficile l’évaluation du «juste prix» et exposent les pays producteurs à des pertes fiscales significatives.
Le lithium illustre parfaitement cette complexité. Contrairement à l’or, dont les cours sont bien établis, son marché reste opaque. «Il est plus difficile d’y lire les tendances et de savoir quel devrait être le juste prix», souligne Adam Megginson, analyste chez Benchmark Mineral Intelligence.
Les contrats de vente conclus pour Goulamina et Bougouni s’inscrivent dans ce contexte. À Goulamina, Ganfeng Lithium, actionnaire majoritaire avec 65% du projet, prévoit une production initiale de 506 000 tonnes de concentré, extensible à un million de tonnes. Ce concentré, décrit comme «de haute qualité et à faible coût», alimentera les usines de carbonate et d’hydroxyde du groupe en Chine. À Bougouni, Kodal Minerals a signé en juin 2025 un accord avec Hainan Mining pour la vente exclusive de la production de spodumène sur quatre ans.
Ces accords posent un défi aux autorités maliennes. Lorsque la filiale locale vend directement à sa maison mère, le prix déclaré peut être inférieur à celui du marché, réduisant mécaniquement les recettes fiscales. Certaines redevances étant indexées sur le prix de vente, la transparence devient cruciale.
Les instruments fiscaux au service de la souveraineté économique
Le Mali dispose toutefois d’un cadre fiscal pour encadrer ces pratiques. Le Code général des impôts impose que les transactions entre entreprises liées soient réalisées dans des conditions de pleine concurrence. Les entreprises concernées doivent fournir une documentation détaillée sur leurs opérations intragroupe. L’article 57-E permet en outre de conclure un accord préalable avec l’administration fiscale, définissant les méthodes de calcul et les critères de comparaison applicables aux prix de transfert.
«L’accord préalable est un contrat qui fixe, avant la réalisation des transactions, les paramètres permettant de déterminer les prix de transfert sur une période donnée», explique le juriste fiscaliste Demba Traoré dans une publication du CERACLE.
En mai 2025, le directeur général de Kodal Minerals a annoncé la suspension temporaire des exportations de Bougouni, à la demande du gouvernement malien, soucieux de vérifier que le lithium est vendu aux prix du marché. Bien que les autorités n’aient pas commenté officiellement cette décision, elle témoignait d’une vigilance accrue face à un risque fiscal inédit. Cet effort a porté ses fruits, car un permis d’exportation a été accordé le 5 septembre 2025, précisant que le prix sera basé sur le prix de référence du Shanghai Metal Market (SMM), tout en donnant au Ministère le droit de surveiller et d’ajuster les prix si nécessaire.
L’enjeu pour le Mali ne se limite pas à l’ouverture d’une nouvelle filière minière. Il s’agit de garantir que la richesse générée par l’«or blanc» bénéficie pleinement à l’économie nationale, et ne soit pas captée ailleurs au détriment des recettes publiques.
Le marché du lithium est marqué par une forte volatilité. Après avoir connu une envolée en 2021 et 2022, les prix ont chuté de plus de 80% depuis 2023. En 2023, la demande mondiale de lithium a atteint environ 145 000 tonnes de contenu en lithium. Cette demande est principalement portée par l’essor des véhicules électriques, qui utilisent massivement des batteries lithium-ion. Selon les projections de l’Agence internationale de l’énergie, cette demande pourrait grimper à 600 000 tonnes d’ici 2030, soit une multiplication par plus de quatre.
Le marché des batteries lithium-ion, principal débouché du lithium, a été estimé à 75,2 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 332,5 milliards de dollars en 2034, avec un taux de croissance annuel moyen de 15,8%. En termes de prix, le lithium a connu une forte volatilité. En 2023, le coût des batteries lithium-ion à l’échelle industrielle est passé de 1 400 USD/kWh en 2010 à moins de 150 USD/kWh, illustrant les progrès technologiques et l’optimisation des chaînes d’approvisionnement. Enfin, le nombre de véhicules électriques dans le monde, qui dépend directement du lithium, a dépassé les 10 millions en 2023 et pourrait atteindre 145 millions d’ici 2030, selon les estimations de l’AIE.
Ces données montrent à quel point le lithium est devenu un ressort stratégique de la transition énergétique mondiale, et pourquoi sa valorisation fiscale au Mali mérite une attention rigoureuse.
- SANOGO
Source : L’Aube
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