Vendredi dernier, les représentants des États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont quitté la deuxième session ordinaire annuelle du Conseil des ministres de cette organisation. C’était à Lomé au Togo.Â
Faute d’accord sur la désignation du Burkina Faso pour présider le Conseil des ministres, les représentants du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont claqué la porte.Â
Ces pays, qui prônent le souverainisme en matière monétaire, ne cachent pas leur intention de créer leur propre monnaie et d’abandonner le franc CFA. Mais ils hésitent encore à quitter l’espace monétaire de l’UEMOA qui leur apporte une sécurité.Â
L’économiste malien, Modibo Mao Makalou, dans une interview à la DW, estime d’ailleurs que ces pays n’ont pas l’intention de quitter la zone CFA. Pour lui, créer sa propre monnaie n’est en soi pas compliqué. En revanche, la complexité réside dans la gestion de cette monnaie par une banque centrale, notamment pour réguler l’inflation.Â
DW : Monsieur Makalou, créer sa propre monnaie, est-ce que c’est un processus difficile complexe ou pas ?Â
C’est un processus très facile parce que c’est l’apanage des États. C’est une mission régalienne de chaque État de créer sa monnaie. Ça veut dire : imprimer des billets de banque et puis fabriquer des pièces de monnaie. Mais, maintenant, cette masse monétaire doit être gérée par un institut d’émission qui doit faire en sorte que la monnaie parvienne aux ménages, aux entreprises, à travers les banques. Mais, c’est un processus complexe de gérer une monnaie.Â
DW : Complexe de gérer une monnaie, et qu’est-ce qui fait cette complexité ?Â
Modibo Mao Makalou : Il faut d’abord créer un institut d’émission qu’on appelle aussi une Banque centrale, et il faut évaluer la quantité de monnaie par rapport aux biens et services dans l’économie parce qu’il faut un équilibre. Si vous avez trop de monnaie par rapport aux biens et services, cela va poser des problèmes dans l’économie. Et si vous avez trop de biens et services par rapport à la monnaie, cela peut poser d’autres problèmes aussi. Donc, il faut un équilibre et c’est cet institut d’émission qui régule la masse monétaire qui permet en ce moment de stabiliser les prix, ce qu’on appelle l’inflation. Donc, la Banque centrale se fixe un objectif cible d’inflation et c’est à travers cela qu’elle régule un peu la gestion de la monnaie, de la masse monnaie.Â
DW : Alors qu’est-ce qu’il faut faire pour qu’une monnaie soit viable, soit efficace, soit forte ?Â
Modibo Mao Makalou : Forte, cela veut dire qu’on parle du prix de la monnaie, c’est-à -dire du taux de change. Je pense qu’il faut surtout qu’une monnaie soit solide. Et cela, il y a des critères, des normes internationales. D’abord par rapport au taux de couverture. Quels sont les engagements à court terme du pays, de l’État par rapport aux réserves officielles, c’est-à -dire le stock d’or et de devises que détient cette Banque centrale parce que la monnaie est adossée à des réserves officielles que sont de l’or et puis des devises, c’est-à -dire des monnaies étrangères librement échangeables comme l’euro, le dollar, le yen, la livre sterling et autres. Ce sont des devises parce qu’on peut les échanger partout dans le monde.Â
Par contre, vous avez aussi des monnaies non convertibles qu’on ne peut pas utiliser en dehors du pays qui les a émises. On les utilise uniquement à l’intérieur des frontières. Donc, il faut que votre Banque centrale ait assez de réserves pour couvrir la monnaie. Ce sont les 20% dont je vous ai parlés. Les engagements à court terme, il faut que les réserves puissent couvrir les engagements à court terme à hauteur de 20%. Et il faut aussi que les réserves que sont l’or, le stock d’or à la Banque centrale et les devises puissent couvrir trois mois d’importation à tout moment.Â
DW : Alors il y a un débat au sein de l’Afrique de l’Ouest avec les pays de l’AES qui entendent créer leur propre monnaie. Pourquoi cela tarde-t-il ?Â
Modibo Mao Makalou : Qui vous a dit que l’AES va créer sa propre monnaie ? Il y a beaucoup d’affirmations dans ce sens. Mais ce que je sais, c’est que l’Alliance des États du Sahel, la Confédération de l’Alliance des États du Sahel, est une Confédération qui a pour vocation de devenir une union économique et monétaire. Mais je crois que nous n’en sommes pas là parce que l’union économique et monétaire c’est le stade ultime de l’intégration. Donc, cela veut dire qu’on va harmoniser les politiques économiques, c’est à dire la politique monétaire et la politique fiscale. Mais l’AES le fait déjà au sein de l’UEMOA, c’est à dire les huit pays qui ont en partage le franc CFA, parce que vous savez, pour que les pays aient une même monnaie et c’est le cas du franc CFA de l’Afrique de l’Ouest, il faut qu’il y ait des critères de convergence macroéconomique, ça veut dire que les économies soient convergentes et donc l’’AES est en train de faire cela au sein de l’UEMOA. Et donc évidemment pour le moment, la monnaie c’est le franc CFA et le jour où l’AES décidera, mais évidemment elle va créer sa propre monnaie mais je pense qu’ il n’y a eu aucune déclaration officielle dans ce sens pour le moment.Â
DW : Comment vous réagissez à la crise actuelle au sein de l’UEMOA, avec la présidence tournante qui devait revenir au Burkina Faso ?Â
Modibo Mao Makalou : Je ne suis pas dans le secret des dieux. Il y a eu un conseil des ministres de l’UEMOA. Chacun des huit pays a une voie égale et chacun des huit pays est représenté par deux ministres, y compris le ministre des Finances de chacun des pays. Les décisions sont prises selon les textes de l’UEMOA, le traité de l’UEMOA, à l’unanimité et à défaut par consensus. Donc normalement, comme je l’ai dit, il n’y a pas de droit de veto. Chaque pays a un poids égal et aussi c’est la rotation. Chaque pays doit pouvoir présider le Conseil des ministres pendant deux ans et évidemment l’UEMOA n’a pas fait cas d’incident, mais on a entendu beaucoup de rumeurs mais qui n’ont pas encore été confirmées par les voies officielles d’aucun des huit pays. Donc j’attends d’en savoir un peu plus. Mais, je pense qu’évidemment, ce problème peut être géré pour le Conseil des ministres au niveau de la conférence des chefs d’État, qui est évidemment l’étape ultime de prise de décisions au sein de l’UEMOA.Â
DW : Est-ce que le véritable problème au niveau des pays africains, ce n’est pas plutôt un problème de gouvernance que d’avoir sa propre monnaie ?Â
Modibo Mao Makalou : J’apprécie beaucoup cette question parce que c’est une question fondamentale. Il ne peut pas avoir de monnaie saine sans économie saine. La monnaie est le reflet de votre économie. Qu’est-ce que vous produisez, qu’est-ce que vous consommez, qu’est-ce que vous vendez, comment vous gérez votre économie ?Â
Aujourd’hui nous avons 40 monnaies pour 54 pays africains. Mais dites-moi quels sont les pays qui, parce qu’ils ont leur monnaie ou une monnaie unique, ont décollé réellement ? Quels enseignements on peut tirer après 65 ans d’indépendance sur la gestion des monnaies dans les différents pays africains ? La Guinée a créé sa monnaie en 1960, le pays a sa propre Banque centrale. Quel est le niveau de développement de la Guinée qui regorge de bauxite, qui est l’un des plus grands producteurs de bauxite dans le monde, qui regorge de fer, de diamants, d’or. La Mauritanie idem. Le Libéria a le fer, le diamant, la RDC idem. Je peux vous donner tous ces cas, de pays qui sont de grands producteurs d’or, qui ont une monnaie unique. Mais quelle est le niveau de développement de ces pays ? Il va falloir vraiment qu’on réfléchisse sur la question, qu’on tire les enseignements et qu’on se dise qu’évidemment il faut un changement de paradigme et que ce n’est pas seulement un problème de monnaie, c’est un problème de gouvernance. Comment nous gérons et administrons nos pays. Il faut une vision stratégique et il faut des dirigeants exemplaires. Et surtout, il faut de la bonne gouvernance si nous voulons vraiment la prospérité et des économies saines avec des monnaies solides.Â
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